Pour cette seconde publication, qui n'ira pas -encore- sans quelques maladresses, je voudrais vous parler du signifiant.
Vous n'êtes pas sans avoir remarqué les astérisques qui constellaient ma petite introduction à ce blog. Ils sont censés renvoyer à un index que je déroulerai à mesure et en évitant les écueils et les impasses que constituent la tentation de l'exhaustivité. Comme je vous en ai avertis, je fais ici œuvre de modestie : nul regalia, aucune orbe de la connaissance dans ma main pour en revendiquer le sceptre. À cette heure, je ne suis pas encore arrivé au bout de la traversée des Séminaires de Lacan, et les écrits de Freud restent toujours en suspension... J'avance donc ici avec vous et profite de ces pages pour venir questionner en disciple éclairé -disons- les concepts de la psychanalyse.
La portée et la puissance d'un concept, quel que soit le champ du savoir auquel il appartient, se mesurent à sa capacité à venir donner du sens et à articuler l'objet qu'il tente d'éclairer, ceci dans un souci d'universalité. Une loi a d'autant plus de force et de beauté qu'elle englobe dans sa sphère une multitude de phénomènes et elle peut être dite universelle quand elle se rapporte à tous ceux définis à l'intérieur d'un champ commun. Le champ qui intéresse la psychanalyse, c'est celui qui se rapport à l'homme en tant qu'il est porteur d'une vérité qu'il ignore et qui l'aliène, inexorablement et indéfectiblement. Cette vérité, c'est celle qui vint au génie de Freud ; certes déjà au travail dans la littérature, tapie dans les ombres de l'histoire, cette intuition de l'Autre et de l'ailleurs, de l'insaisissable des passions tristes, de ce sentiment commun à l'humanité d'appartenir à une détermination qui lui échappe et autour de laquelle elle tisse un monde de significations, de symboles et de fantasmes. Pour autant, le centre de cette toile demeure toujours constituée d'un vide, vide de ce sens qui pourtant déborde et encombre notre espèce.
Le langage. C'est la réponse de la psychanalyse, anticipée par Freud et mise en lumière par Lacan. « Le langage est la condition de l'inconscient » et « l'inconscient est structuré comme un langage ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Que c'est dès l'instant où l'être humain est plongé dans le langage et ses lois que s'opère une séparation, une coupure, une distance irrémédiable entre lui et la chose. Quelle chose ? Cette chose qui constitue l'objet qui porte son désir, la promesse de la Jouissance*. Mais le paradoxe, c'est que cette chose n'existe que d'avoir été détachée, mise en lumière par le langage dont elle est l'ombre. Nous sommes donc détachés d'un rien qui devient, dans l'après-coup, le tout qu'il s'agit de toucher et de rejoindre, ce manque-à-être* qui constitue le pourquoi et l'impossible de notre existence.
Nous allons aujourd'hui tenter de définir un élément important qui se rapporte au langage et à ses lois. C'est le signifiant. Cette notion a été reprise du linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913), dont les concepts exposés dans son Cours de linguistique générale, paru en 1916, irrigueront de nombreux courants de pensée regroupés sous le nom de structuralisme et dont les représentants les plus connus sont Claude Lévi-Strauss (anthropologie), Roland Barthes (littérature et sémiologie), Michel Foucault et Louis Althuser (philosophie), Jacques Lacan, enfin. Nous ne nous lancerons pas ici dans une définition du structuralisme, qui a donné lieu à de nombreux débats épistémologiques, et nous conterons de dire qu'il relève en grande partie du matériel conceptuel laissé par Saussure, en particulier cette notion de signifiant.
Dans le système élaboré par le fondateur de la linguistique moderne, le signifiant est, avec le signifié, un des deux éléments du signe linguistique. De manière (très) réductrice, un mot ou symbole comporte une forme (son signifiant) et un fond (son signifié). Plutôt qu'une forme, précisons que le signifiant se rapporte davantage à « l'image acoustique » du mot, cette empreinte psychique que laisse dans votre esprit la phonologie, la perception, la forme sonore du mot. Le signifié, quant à lui, concerne le concept, l'imagé, l'imaginé, le sens charrié par ce mot. Ajoutons aussi que le signe est dit « arbitraire », c'est-à-dire que le lien entre signifiant et signifié est de pur hasard, que l'un et l'autre n'ont aucun rapport entre eux. Ainsi, la suite des phonèmes constituant le mot prononcé « livre » n'a aucun lien d'évocation direct, « naturel » avec son concept, de même que les homonymes ver, vert, vers et verre désignent des réalités tout à fait différentes. Il existe évidemment des possibilités d'argumenter ce dit « arbitraire » en lui opposant notamment la question des universaux, comme par exemple le fait que l'occlusive naso-labiale « m » suivie de la voyelle « a » se retrouvent dans la quasi-totalité des langues pour désigner la mère et son primordial « miam-miam ».
L'apparence logique voudrait que le concept prévale sur l'image acoustique, et c'est ainsi que l'entend Saussure dans son diagramme du signe, qui dispose le signifié au-dessus et le signifiant en-dessous. Lacan va inverser le rapport entre les deux et donner la prévalence au signifiant dans l'inconscient. Qu'est-ce que cela peut vouloir dire ? Premièrement, que le rapport entre signifiant et signifié est labile, changeant, susceptible de varier au-delà du simple contexte au sein-même de la subjectivité qui le reçoit et l'inscrit. Ainsi, « la notion d'un glissement incessant du signifié sous le signifiant, s'impose donc ». Ce glissement, Freud l'avait anticipé quand il détachait des formations de l'inconscient que sont les rêves les processus du déplacement et de la condensation. Dans le déplacement, un élément manifeste représente un autre élément latent avec lequel il entretient un lien « signifiant » -justement- et qu'il s'agit de saisir en remontant la « chaîne signifiante » qui lie les éléments entre eux, d'où la technique de « l'association libre » en résonance avec les interprétations du psychanalyste, pour remonter le cour jusqu'à la source du refoulé. Quant à la condensation, il s'agit d'une intégration multiple, d'une surimposition des signifiants où plusieurs éléments se réunissent ou se transforment pour en former un nouveau. Ces deux processus, Lacan leur donnera une plus grande extension en les désignant du nom de métaphore (condensation) et de métonymie (déplacement).
Peu à peu, la valeur et la définition du terme de signifiant vont évoluer en se détachant de la référence à Saussure. Le signifiant devient un élément matériel mais vide de sens propre, absorbant en lui la signification pour lui faire écho de son néant. « Rien ne veut rien dire », pourrait-on soupirer. Il n'y a de valeur donnée aux signifiants qu'à proportion de leur importance, mais cette importance est paradoxalement liée au fait qu'elle recouvre une absence de sens fondamentale, un impossible-existant que Lacan nommera le Réel*. Le signifiant devient le médium qui concentre, habite et vectorise le monde du Symbolique. Le Symbolique tente de nommer ce qu'il en est d'un Réel « qui ne cesse pas de ne pas s'écrire », qui heurte et arrête les êtres que nous sommes, fondamentalement inexprimable, indicible, mais que l'homme s'évertue à vouloir régir selon les lois du langage. Là-dessus, on comprend que certains signifiants pourront revêtir une importance capitale : ainsi de ceux qui viennent organiser notre rapport au monde et aux autres, instituer un ordre fait de contrastes et de différences : le jour et la nuit, le chaud et le froid, le masculin et le féminin, le grand et le petit, le dur et le mou, le cru et le cuit, le fort et le faible, le yin et le yang, etc.
Au niveau des individus, chaque signifiant se connote d'une résonance particulière, d'une pluralité de significations possibles, et s'inscrit le long d'une chaîne qui se définit de la subjectivité propre et de la charge affective qu'ils y auront déposé. Là aussi, certains signifiants seront plus importants que d'autres : ils pénétreront le sujet d'une force particulière, lui donnant sa consistance, « le représentant », pour ainsi dire. Car, si la chaîne signifiante se déroule indéfiniment, faisant « qu'un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant », elle n'en comporte pas moins une origine, la frappe d'un signifiant premier qui vient recouvrir un signifié impossible à saisir. Ce signifiant-maître (S1) permet d'arrimer le sujet dans le monde symbolique, de s'identifier à un trait, à une représentation. Ce représentant, ce signifiant qui recouvre et « barre » le sujet, c'est son être lui-même, support de son expression qui n'en demeure pas moins « du semblant ». C'est ce qui lui permet de se repérer dans l'existence et d'asseoir un dialogue, sinon apaisé, du moins structuré avec le grand Autre... que nous explorerons à l'issue d'une prochaine publication.
PS : J'ai conscience que ces notions sont difficiles à saisir mais nous aurons l'occasion de revenir sur ces fondamentaux à plusieurs reprises et de les illustrer par des exemples pratiques/cliniques.
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