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On bat un enfant

Photo du rédacteur: Antoine KauffmannAntoine Kauffmann


La grille des concepts lacaniens permet un repérage intéressant de ce fantasme, que Freud découpe en trois temps, dont un, nous dit-il, doit toujours être reconstitué. Ce texte, censé nous éclairer sur la genèse du masochisme, nous permet surtout de dégager les élements de la structure du sujet et la succession des temps logiques qui les organise.


Dans le premier temps, Mon père bat un enfant qui est celui que je hais, fait ressortir trois composantes : le père, l'autre, et Je.


Dans le deuxième temps, Moi, je suis battu par mon père, évacue l'autre et fait subsister une relation duelle.


Le troisième temps, On bat un enfant, dépouille encore davantage l'écriture du fantasme des références subjectives.


Ces temps successifs nous permettent de repérer ce qu'il en est de la construction du sujet dans l'élaboration de son fantasme, mais plus généralement l'articulation des trois dimensions, réelle, imaginaire et symbolique, constitutives de toute assomption du parlêtre dans l'ordre du signifiant.


Au premier temps, il semble que les trois registres sont repérables d'emblée.

Le Je, c'est le sujet de l'inconscient, de la pulsion, mu par ce qui cause le désir, qui se rendra insaissable et vacillant entre les défilés du signifiant. Réel.

L'enfant, c'est le petit autre, celui du miroir, le semblable, le frère, support narcissique de l'identification, mais aussi le rival, celui qu'il faut éliminer parce qu'en compétition dans la course à l'objet, en ce qu'il empêche la captation pleine du désir de l'Autre. Imaginaire.

Le père, c'est l'un des représentants du grand Autre en ce qu'il constitue celui au travers duquel je repère ce qu'il en serait de mon désir. Puisque le chemin du parlêtre est irrémédiablement lié à ce qui se défriche et se déchiffre de la jungle des signifiants, le père est ce premier héros de notre vie qui de sa lame nous fraie la voie, et nous effraie de sa voix l'âme. Symbolique.


Le parlêtre sait bien vite compter jusqu'à trois, entre lui, l'autre et l'Autre, bien qu'il n'ait pas encore appris. Le Je, le Tu et le Il, sont ici dans un rapport qui n'est pas encore tout à fait dialectisé. Il se présente comme pures entités de la structure. Mon père, c'est celui dont je cherche l'amour. L'enfant est ce rival qui m'empêche. Et Je ne peut que haïr, comme s'il fallait que la haine soit intimement liée à l'amour.


Car pourquoi hais-je cet enfant? Est-ce parce qu'il a ? Possède-t-il quelque chose qu'il me faudrait avoir ? Ou est-il à mon image, "a, mon image", comme i(a), i de a, l'image de cet autre moi-même, support du moi haïssable mais indispensable à mon amour? Quoiqu'il en soit, n'est-il pas vrai que l'amour de mon père s'y révèle par lui exhaussé? Et que mon fantasme de le voir se faire battre en exauce ainsi mon désir?


Au deuxième temps, c'est Moi, qui suis battu par mon père. Mais Moi, c'est l'autre. La pulsion sadique envers mon prochain, est-ce que je la renverse simplement sur moi-même, d'en avoir perçu la dimension érotique ?

Le pervers prétend toujours mieux savoir ce qui fait jouir l'Autre, et c'est ainsi qu'il cherche à se faire instrument de cette jouissance par la monstration crue de cet objet décheté qui cause son désir. Si le sadique cherche à faire jouir l'Autre en l'angoissant, le pervers cherche à l'angoisser en le faisant jouir, d'après ce que nous dit Lacan.


Mais il ne s'agit pas ici d'analyser ce qui marque la différence entre le sadique et le masochiste, bien plutôt de saisir en quoi ce moi du deuxième temps du fantasme, indique l'intégration pleine et réalisée de la structure du miroir. L'autre n'est jamais qu'un autre moi, ou plus exactement il est moi, avec lequel Je me confonds à tort. Le Moi qui est ici battu, c'est tout aussi bien l'autre. Il reçoit le châtiment du père pour que Je jouisse, et mon moi se satisfait à la fois de cette marque d'attention érotique repéré dans la violence - car qu'est-ce que la violence, sinon la preuve d'un investissement, et qu'investit-on sinon l'objet de notre désir? Le moi est un support narcissique, un véhicule qui condense ici la satisfaction pulsionnelle sadique, l'érotisation masochique et le châtiment apaisant du sentiment de culpabilité.


Enfin, le troisième temps apparaît comme l'expression d'un fantasme encore davantage purifié. On bat un enfant. On pourrait penser que son écriture est pauvre, mais en vérité, n'est-ce pas plutôt l'inverse? Le fait de se réduire à la plus élementaire simplicité, c'est tout autant la preuve que la condensation s'est encore raffinée, que la dimension métaphorique et symbolique s'exprime à plein, de façon ramassée mais profonde. C'est la marque irréfutable du fait que le parlêtre a intégré la coupure inhérente au signifiant, que le refoulement a bien eu lieu et que le sujet a pu accéder à la richesse de l'ordre symbolique. Cette écriture, on bat un enfant, est susceptible d'être déclinée dans toute une palette de couleurs, de se parer de toutes les figures venant ici représenter ce On, cristallisation d'un Je devenu oeil, simple objet scopique, mais aussi du père comme intégré dans le Je, d'un Je entièrement pris dans sa relation à l'Autre, identifié à la figure paternelle.


Ce décentrement permet toute la richesse des représentations théâtrales et picturales, un foisonnement des possibilités esthétiques de composition, dont l'art au sens large pourra se saisir avec tout ce qu'il suppose de sublimation.

 

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