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Photo du rédacteurAntoine Kauffmann

Le Grand Autre

Dernière mise à jour : 23 déc. 2022

« Je est un autre », dit le poète. Mais lequel ? « Le grand », pourrait répondre le psychanalyste après Lacan. L'Autre avec un grand A, c'est la notion princeps de la terminologie lacanienne. Si son abord est relativement simple, il élargit sa fonction dans un éventail qui ne cessera de se déployer à mesure de l'élaboration conceptuelle poursuivie au gré des Séminaires. Le principe est simple mais il ouvre un champ très vaste et très complexe à articuler. Commençons ainsi : Je est un Autre auquel il s'adresse.


Premièrement, le grand Autre se distingue d'une majuscule pour contraster avec la minuscule du petit autre. Ce petit autre*, c'est votre semblable, votre interlocuteur, singulier ou pluriel, c'est votre image, votre reflet. Mais nous ne nous adressons jamais à lui sans en viser un Autre, qui demeure là, en arrière-fond, en coulisse ou au centre de la scène. Cet Autre est un mystère. Il est la question qu'on questionne sans se poser de question. Il est ce qui constitue notre rapport au monde, à nous-mêmes, à notre désir, à notre pourquoi. Il est le lieu d'où résonne ce qu'il pourrait en être de notre être. De cette cavité résonnante, il nous revient notre propre message, notre propre questionnement, sous une forme inversée. Il est ce tiers auquel on ne peut manquer de s'adresser dans un dialogue, l'intermédiaire indéfectible. S'il est le référent qui permet de médier la rencontre, il est aussi celui qui fait de la rencontre un échec, un impossible. Car ce référent prend une forme particulière pour chacun d'entre nous. Il est le ressort du comique et du tragique de nos existences, le brouilleur de piste, le message sans messager, il parle notre langue mais demeure silencieux, sauf à faire écho des signifiants dont il est porteur et dont nous sommes tous bien embarrassés.

Ce grand Autre a une origine, même si celle-ci demeure pour ainsi dire mythique. Cette origine, c'est celle du signifiant. Le grand Autre est dit « trésor des signifiants ». Il est le langage lui-même, le lieu de la langue. « Lalangue », dira plus tard Lacan pour signifier que cette langue est toujours idiosyncrasique du fait d'être celle de la mère, c'est-à-dire qu'elle vibre des résonances propres, des modulations signifiantes particulières, du souffle et des affects venus habiter les mots, les posséder, les incarner, jouant d'une prosodie qui est en fait langue de notre désir. Puisque la mère est classiquement le premier Autre, première à incarner ce lieu de la langue qu'elle introduit à son enfant dans tous les sens du terme, elle laissera dans ce lieu son empreinte, sa marque, son stigmate et son traumatisme.

Quand vous parlez, vous vous adressez à votre interlocuteur, à un groupe, une assemblée ou encore à vous-même. Comme nous l'avons dit, ces autres – avec un petit a – sont vos semblables, vos reflets, votre miroir ; ils se meuvent comme autant de figures qui s'articulent du registre de l'imaginaire*. Mais vous ne le faites jamais sans l'Autre qui, lui, appartient essentiellement à la dimension symbolique*, pour être le trésor des signifiants. Ce lieu, nous le partageons tous mais sans jamais y mettre la même chose : ainsi des signifiants qui s'y agitent, de la signification et du sens qu'on leur donne, du contenu et de la forme que nous donnons à son désir, des injonctions qui s'y font entendre, du pourquoi de sa raison, etc. C'est ce partage d'un lieu commun subjectiforme qui n'est autre que celui de la langue, de ses traces et de ses lois, de ses impasses et de son droit, qui fait de nous tous des incompris sourds à la compréhension du prochain mais pourtant aptes à tenter d'en articuler quelque chose. Car de cet Autre se constituent les référents communs propres à la structure* (le référent phallique*, sur lequel nous reviendrons) et les signifiants communs propres à une culture. C'est ce qui fait que Carl Gustav Jung a pu parler d'inconscient collectif en y dégageant ce qu'il appelle des archétypes. À la vérité, il n'y a jamais qu'un inconscient : ce lieu Autre constitué par la langue avec lequel nous nous entretenons.


"L'inconscient est le discours de l'Autre", à savoir que cet Autre nous désigne des signifiants qui constituent ce que nous croyons être, ces signifiants qui nous guident et nous perdent (dont nous n'avons souvent pas idée -d'ailleurs- puisque d'Ailleurs ils nous donnent l'idée). Ces signifiants dans l'Autre se constituent en chaîne, c'est-à-dire qu'ils se déroulent à mesure de notre histoire, laissent leur empreinte particulière, mais aussi s'accrochent les uns aux autres, entretiennent entre eux des liens, métaphoriques et métonymiques, participant à la richesse, à la complexité et à la difficulté de se repérer dans ce labyrinthe de notre inconscient qui ne cesse de croître - ou plutôt de s'enrouler sur lui-même. La métaphore et la métonymie, comme nous l'avons déjà dit, c'est ce que Freud désignait respectivement comme condensation et déplacement : on en retrouve le jeu imagé dans les rêves, par exemple lorsqu'une personne en désigne une autre -c'est la métonymie/déplacement- ou lorsqu'elle est construite à partir de plusieurs autres figures - c'est la métaphore/condensation. Ainsi, "le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant", puisque la chaîne est sans fin mais que cette chaîne s'origine d'une première articulation à partir du refoulé originaire* inscrivant le sujet dans l'ordre symbolique et lui désignant l'instance phallique comme vecteur et possibilité de recouvrement d'un désir interdit, inaccessible (l'objet maternel ou plutôt l'énigme, le signifié de son désir). Le refoulement porte toujours sur la signification sexuelle du langage qui va venir pour ainsi dire pénétrer les signifiants. De cette signification secrète, l'enfant s'enquerra sans jamais tout à fait parvenir à l'élucider (c'est le Brûlant Secret de la nouvelle de Stefan Zweig) mais en la reconnaissant comme fondamentale, constitutive de son intérêt le plus vif.

De cet Autre, impossible de s'en dégager et de s'en extraire. Impossible également de savoir qu'elle est son souhait, quand pourtant nous passons notre vie à en déceler le mystère. Comme si la réponse à cette énigme pouvait être garante de quelque absolu. « Le désir est le désir de l'Autre », dira Lacan en reprenant à Hegel sa conception du désir, d'être reconnu par cet Autre mais également d'en reconnaître ce qui constitue son désir propre. Les diverses incarnations de cet Autre, représentées essentiellement par les figures parentales, auront beau consteller ce lieu des signifiants fondamentaux donnant au sujet la possibilité de s'y accrocher, de s'y désigner, d'y repérer et d'y inscrire une trame et les premiers nœuds d'une chaîne se déroulant à l'infini, déterminant ainsi les coordonnées d'un destin, l'énigme restera toujours complète pour une raison de structure : il n'y a pas d'Autre de l'Autre, celui-ci est à notre image, à savoir qu'il est barré, troué, qu'il se soutient comme nous d'un manque – dont le mathème* est S(Ⱥ)- reposant sur une absence, un « ab-sens », un impossible hermétique à toute possibilité de désignation par le langage, ce que Lacan nommera le réel*. Mais ce réel est particulier puisqu'il est lui-même le produit d'une division entre le sujet et l'Autre : ce trou dans l'Autre y a été arraché et il en restera ce quelque chose que Lacan tentera d'appréhender par le biais d'une topologie* : ce reste, c'est l'objet petit a*, l'objet cause du désir que notre méprise confond avec l'objet de notre désir que le grand Autre recèlerait. Arrêtons-nous là pour cette fois.


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